juin 30, 2015 at 8:31
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Une jolie bâtisse de trois étages en plein Soho Square, à Londres. Le deuxième étage, siège de Limelight, une des plus importantes sociétés de vidéo britanniques, est en effervescence. Survolté et pourtant étonnamment disponible, Steve Barron, le maître des lieux, est là dans son élément. Un cas, ce Baron. Agé de 27 ans, il est le réalisateur de quelques uns des plus célèbres clips vidéo tels que «Billie Jean» pour Michael Jackson, «Let me go» pour Heaven 17 ou «Stranger in town» pour Toto, parmi tant d’autres. Cela ne lui fait pas tourner la tête pour autant, pas plus que le succès de son premier long métrage «Electric dreams». Il ne se départira pas de sa modestie tout au long de cet entretien effectué, en grande partie, dans l’auto qui nous mène aux studios de Shepperton. Il y tourne là le prochain clip de Don Henley «All shewants to do is dance».
J’ai commencé en 1974 en tant qu’assistant à la caméra. Je n’avais aucune velléité de mise en scène, je voulais seulement faire partie de ce métier. Puis, en 1976, j’ai travaillé sur le set de «Un pont trop loin» de Richard Attenborough puis de «Superman» de Richard Donner, en 1978. C’est là que les choses se sont déclenchées pour moi car j’ai rencontré des gens qui connaissaient le groupe Barclay James Harvest. Ils m’ont alors demandé de suivre le groupe en tournée européenne pendant deux semaines. Le résultat s’est traduit par une sorte de documentaire de 50 minutes où je me suis surtout occupé des parties techniques sans savoir vraiment où j’allais. C’est là que je me suis retrouvé réalisateur, j’avais alors 22 ans.
Je pense que les clips ont commencé à marquer les esprits à partir de 1976 quand le groupe Queen a tourné l’illustration visuelle de sa chanson «Bohemian rhapsody». Je me souviens encore du jour où cela a été diffusé à la télé dans «Top of the pops». Trois semaines après ce passage, les gens continuaient à en parler car cette apparition dans une émission de variétés traditionnelles n’avait rien à voir avec ce qui se faisait auparavant. A partir de là, tous les chanteurs voulaient avoir leur clip. Une étape supplémentaire était ensuite franchie lorsque David Bowie a tourné «Ashes to ashes» et les Boomtown Rats «I don’t like mondays». Pour ma part, j’en tournais déjà quelques uns à cette époque et je prenais la vidéo de «I don’t like mondays» pour référence, c’était l’exemple à dépasser. Je me souviens qu’en ces temps où les clips bénéficiaient d’un budget de 2 000 pounds (25 000 francs), ça a été la stupéfaction générale quand on a su que «I don’t like mondays» en avait coûté 9 000 (110 000 francs). Mais c’est ainsi que le métier a évolué et nous avec…
Mon premier clip a été «Strangetown» pour les Jam. Ensuite, j’en ai tournés avec des groupes et des chanteurs comme Secret Affair, Gary Numan et plein d’autres. Tout cela en Angleterre. Je me souviens que lorsque je me suis rendu aux States, à cette époque, les gens ne comprenaient pas vraiment en quoi consistait mon travail pour la bonne raison que, là-bas, les clips passaient très rarement à la télé. Le lancement de MTV, en 1981 aux Etats-Unis, a considérablement modifié les données. On s’est alors aperçu d’une augmentation notable des ventes de disques dans les régions où MTV était implantée. Et comme les Anglais étaient les principaux «fournisseurs» en clips de MTV, on a parlé de «nouvelle vague» britannique déferlant en Amérique. C’est principalement grâce à leurs clips que des groupes comme Human League, Culture Club ou Duran Duran s’y sont imposés.
Après eux et quelques autres, la firme CBS m’a mis en contact avec Adam and the Ants très en vogue à ce moment. J’ai rencontré Adam, le leader du groupe, avec qui j’ai discuté du look et de l’image à donner de leurs chansons. Ces clips ont été assez appréciés et ont valu un surcroît de commandes à Limelight, ma société de production. Ensuite j’ai notamment réalisé «Don’tyouwant me» pour les Human League, «Rosanna» pour Toto, «Maid of Orleans» pour Orchestral Manoeuvre in the Dark, «Hold me» pour Fleetwood Mac, entre autres.
Sachant que Michael Jackson allait se remettre au clip après trois ans d’absence et l’importance que cette rentrée représentait, le responsable de Limelight à Los Angeles s’est débrouillé pour faire visionner mes vidéos les plus représentatives à Michael et ses managers qui m’ont alors demandé de leur soumettre un point de départ, ce que j’ai fait. Ils ont immédiatement approuvé mes propositions qui rejoignaient parfaitement ce que voulait le chanteur, sa volonté d’apparaître comme quelqu’un de magique, une sorte de Peter Pan moderne. A partir de là, tout s’est enchaîné à une vitesse folle. Je me souviens avoir tourné le clip un lundi et un mardi à Los Angeles, je suis retourné à Londres jeudi, j’ai passé toute la journée du vendredi sur ma table de montage et je leur ai soumis le résultat final le samedi !
Oui, mais qui sait ce que veut vraiment dire cette chanson. A mon avis, les mots y sont plus importants que l’histoire. C’est d’ailleurs le cas pour un tas d’autres tubes. Même si on y découvre un semblant d’intrigue, ce n’est pas suffisant pour en tirer un clip. Sinon, on en arriverait à développer une idée qui ne mérite pas de l’être en premier lieu et cela nuirait énormément à l’ensemble. A mon avis, la cohérence du script est la plus importante des priorités pour un clip. Pour en revenir à «Billie Jean», je regrette simplement de ne pas avoir disposé du même budget dont ont bénéficié les vidéos de «Beat it» et de «Thriller» qui sont incontestablement deux beaux morceaux de bravoure. Pour ma part, je me suis vraiment battu pour que «Billie Jean» soit un clip plus «classe» que ce qu’il en a finalement été. J’avais vraiment besoin d’un budget plus important que celui qu’on m’avait accordé, mais CBS ne l’entendait pas de cette façon et refusait d’investir des sommes supplémentaires. Les managers de Michael Jackson aussi, d’une certaine manière. Ce n’est qu’après «Billie Jean» qu’ils se sont aperçus que leur poulain était aussi et surtout une «vidéo star» et que ses clips suivants se devaient d’en tenir compte. Je trouve, par exemple, que le clip de «Beat it» est avantagé par cette cohérence que l’on retrouve irrégulièrement dans «Billie Jean», faute de moyens et de temps suffisants.
C’est ce qu’on me dit souvent, mais il m’est très difficile de me prononcer sur mes clips car à peine le tournage de l’un terminé, je passe aussitôt à un autre. Résultat : je n’en entends plus parler pendant des mois et des mois, jusqu’à ce que quelqu’un les évoque devant moi et me rafraîchisse la mémoire. Les rapports d’un réalisateur de clips avec le public sont assez difficiles à expliquer. Quand un metteur en scène de cinéma sort un film, il peut se référer au box-office pour savoir si les gens l’ont vu ou pas. Idem pour les chanteurs qui peuvent se baser sur les hits parades. Ce n’est pas le cas pour les réalisateurs de clips qui ne peuvent compter sur aucun chiffre pour savoir si leurs vidéos accrochent les gens ou pas.
Ça, c’est pour le côté positif. En revanche, il faut veiller à ne pas trop se couper des autres. On a besoin de leurs jugements car, dans ce qu’on fait, on est confronté à au moins cinq choix différents dont il faut en sélectionner un, définitif. Et c’est là que l’avis d’autrui compte pour nous faire comprendre ce qui va ou non.
Il faut rester très prudent. En général, quand on travaille avec de nouveaux venus dans la chanson, il ne faut pas trop leur demander. Quant aux autres, on voit les clips qu’ils ont tournés auparavant et, si leur jeu n’est pas très évident, on doit alors simplifier le scénario. J’ai par exemple, eu de la chance avec les musiciens de Toto qui m’ont laissé les mains libres pour «Stranger in town». Ils voulaient bénéficier, avant tout, d’une bonne intrigue et se fichaient bien de ne pas apparaître dans le clip. En fait, ce sont eux qui m’ont donné l’idée de confier le rôle principal du clip à l’acteur Brad Dourif (héros du «Malin» de John Huston). Ils ont eu l’intelligence de comprendre qu’une vidéo qui repose davantage sur les chanteurs que sur le script aboutit toujours à un résultat bancal.
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